(Journal du médecin, janvier 2010)
« Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », tel est l’article
3 de
la déclaration universelle des droits de l’homme.
Beaucoup d’encre coule pour parler de l’atteinte à la liberté des femmes de confession
musulmane. Le sujet
est délicat et pourtant… Pourquoi ne pas parler à coeur ouvert de ce choc
culturel, de cette différence fondamentale qui soulève peut-être de justes questions mais peutêtre
pas
là où elles semblent se poser de prime abord.
Ne vit-on pas effectivement dans un monde où certaines valeurs devraient retrouver leur
place ? L’excès n’éveille-t-il pas
son contraire, éveillant par le fait même un excès opposé ?
Mais la culture, l’appartenance idéologique ne devient-elle pas aussi quelquefois refuge pour
certaines de ces valeurs
qui se sentent brimées ?
Quelle que soit l’appartenance culturelle, certaines personnes, certaines femmes en particulier
sont davantage pudiques que d’autres. Certaines sont extraverties, c’est
incontestable.
D’autres vivent non voilée parce qu’elles vivent dans un pays où le respect d’une femme ne
passe pas par le port d’un voile. Mais toutes n’aiment pas aller à
la piscine, toutes n’aiment
pas de vivre leur adolescence au coeur de la mixité, toutes n’aiment pas passer des visites
médicales imposées,… et cela quelle que soit leur confession
religieuse.
La question de la mixité, du respect de la pudeur individuelle, du respect que nous nous
devons les uns aux autres, que l’on soit homme ou femme, garçon ou fille, musulman,
chrétien,
hindou, laïque ou autre… ces questions se (re)posent peut-être avec beaucoup
d’acuité en ce début de XXIe siècle.
Si le port du voile pose question, particulièrement
dans les écoles, mais de façon toute
particulière également lors du recours aux soins médicaux, ne faut-il pas reconnaître que la
différence homme-femme présente
néanmoins la sagesse d’être reconnue au sein de la
population musulmane alors qu’elle est complètement gommée dans la culture occidentale
qui, d’un revers de main, a fusionné
« égalité » et « identité » ? Au nom de la reconnaissance
de leurs qualités, de leurs compétences, pour devenir l’égal de l’homme, la femme occidentale
a dû progressivement porter le fardeau de plus en plus de tâches et responsabilités
éminemment masculines, en sus des activités inhérentes à sa féminité. Si pour
être reconnue
égale de l’homme, il faut vivre comme un homme, alors il n’y a pas de véritable égalité, et il
n’y a aucune reconnaissance de la valeur d’une femme.
C’est peut-être cela que le choc des
rencontres culturelles peut nous apporter. La liberté de chacun, le droit à la liberté
d’expression dans le respect de l’autre, la nécessité
d’une certaine pudeur par respect pour soi
et pour les autres, … certaines valeurs sans doute ne peuvent que se retrouver au coeur des
différentes cultures. A l’opposé, la soumission,
la perte de liberté, l’atteinte à l’intégrité et à la
sécurité se retrouvent aussi dans les différentes cultures. Si au nom de l’égalité, une femme
doit se rendre de nuit , seule, dans l’obscurité, dans des endroits inconnus, par obligation, au
nom de son métier de médecin, vue et parfois regardée par des familles entières auxquelles
on
a inculqué qu’une femme non voilée qui circule non accompagnée est une pute,… qui se
retrouve insultée et humiliée par des regards déplacés ? Qui vit dans
l’angoisse ? Qui se
soumet à un ordre dont elle ne partage pas la conviction ? Qui se retrouve exploitée par son
milieu d’appartenance ?
Certaines femmes ont
peut-être choisi de côtoyer le danger, certaines aiment peut-être gérer
des situations à risque, et tant mieux si la loi permet qu’elles soient autorisées à vivre de ce
choix.
De là à l’imposer à toutes les femmes qui ont peut-être juste souhaité faire bénéficier la
société de leurs compétences à soigner, sans pour autant être
d’accord de vivre une mise en
danger permanente, il y à là un pas qui a largement été franchi dans nos cultures occidentales.
Il ne fait pour moi aucun doute, mais c’est un avis
personnel, que cette situation est aussi
grave et peut-être davantage encore que celle d’obliger toutes les femmes musulmanes à se
voiler parce que certaines souhaitent porter le voile par conviction.
Tant pour la différence homme-femme que pour la différence culturelle, pour qu’il soit
possible de parler d’égalité, pour que la discrimination ne soit plus tacitement à l’oeuvre,
il me
paraît important et même fondamental d’accepter le respect des différences, pour autant que
ces différences ne portent pas atteinte à l’intégrité de l’autre.